Au-delà du contrat
Contribution à une extension du concept de valeur de lien dans la sphère marchande
Le cas du groupe MACIF, une entreprise d’assurance mutualiste
Le concept de valeur de lien est issu des sciences sociales. L’émergence des « communautés de marques » dans le domaine de l’économie des biens a conduit les théoriciens et les praticiens du marketing à mobiliser ce concept dans les sciences de gestion. Mais sa mobilisation dans l’économie des services et plus spécifiquement dans l’assurance, reste encore fragmentaire et partielle. C’est l’objet de la présente recherche, qui traite de sa mobilisation au sein de l’entreprise d’assurance mutualiste, en vue d’esquisser un renouveau de son modèle et de l’idéal démocratique dont il est porteur, et d’en refaire un levier de développement.
L’analyse du processus d’effacement progressif des frontières entre acteurs de la consommation est au cœur de notre travail. En effet, au sein des sociétés d’assurance mutualistes, les parties prenantes nouent des relations spécifiques qui dépassent la relation de consommation classique, apportant à l’échange marchand, au-delà d’une valeur d’échange et d’une valeur d’usage, une « valeur de lien ».
Ce travail vise à mieux comprendre les phénomènes de consommation et se positionne dans une approche renouvelée de la sphère marchande, ancrée dans le courant dit de la CCT - Consumer Culture Theory. Cette approche apparaît pertinente pour aborder la dimension sociale du marché portée par les entreprises d’assurance mutualistes, qui se sont historiquement construites sur un principe de solidarité entre des personnes partageant un même destin. Or, dans un contexte marqué par un rapport entre producteurs et consommateurs qui a changé de nature - révélateur d’un lien qui s’est transformé- nous montrons que la reconnaissance émerge comme fondatrice de la valeur de lien. Cette dynamique de la reconnaissance mutuelle permet à chaque individu de partager son appartenance à une communauté politique ou éthique, sans pour autant y perdre son identité propre. Il s’agit pour l’entreprise d’assurance mutualiste de reconnaître cette communauté plurielle, dans laquelle chaque individu se reconnaît dans la finalité d’un modèle d’entreprise, car cette reconnaissance fonde la valeur de lien. Dans ce sens notre travail montre que la valeur de lien traduit un attachement à la marque parce que la reconnaissance n’est pas d’ordre économique ; elle est d’abord issue de la socialité primaire. La fidélité résulte alors d’une subtile alchimie fondée sur la socialité primaire et secondaire.
Sur le plan
théorique l’un des apports fondamentaux de notre travail
est d’avoir contribué à la définition du concept de
valeur de lien dans le cadre de la relation
contractuelle, soulignant plus spécifiquement que ce qui
est visé dans l’échange est l’établissement d’une
relation éthique entre partenaires. En effet, la valeur
de lien tempère la dissymétrie contractuelle en
reconnaissant chaque sociétaire dans sa singularité. Ce
résultat vise à modérer le « fantasme communautaire »
qui est communément associé à la valeur de lien,
notamment par référence aux communautés de marque. Dans
la littérature la valeur de lien est conceptualisée
uniquement dans le cadre d’une interaction, elle
n’existe ni avant, ni après (Cova et Rémy, 2001). Nous
mettons en exergue que la valeur de lien peut se révéler
selon deux dimensions du lien : (a) une dimension a priori
signifiant que ce lien est antérieur à l’adhésion et (b)
une dimension a posteriori à l’occasion d’un évènement déclencheur né à l’occasion
de l’échange entre personnels en contact et assurés.
Notre travail contribue ainsi à renouveler la théorie du
marketing relationnel en approfondissant le concept de
valeur de lien dans le cadre de la relation
interpersonnelle assurancielle. En effet, de par sa
nature, la consommation d’un produit d’assurance revêt
un caractère obligatoire, non désiré, et en général
source d’émotions négatives (le sinistre), spécificités
singulières et a
priori contradictoires avec celles d’un objet de
consommation courante. En proposant un élargissement des
typologies de la valeur pour le consommateur en
marketing (Holbrook, 1999 ; Aurier et al. ; 2004), ce
travail sur la valeur de lien dépasse ainsi le cadre
d’analyse d’Holbrook, puisque l’élément central en est
la relation, ouvrant à une forme de « conception
inversée » de la valeur et suggérant d’affranchir le
marketing de sa tradition trop rattachée aux concepts de
valeur d’échange et de valeur d’usage. Enfin, notre
travail complète les modèles préalablement élaborés dans
le champ du marketing des services et notamment la
typologie de Rémy (2000), en lui adjoignant trois types
de valeur de lien propre à l’univers mutualiste : un
lien de propriété, un lien de solidarité, un lien
générationnel.
Sur le plan
méthodologique, notre méthode de double analyse de
contenu des données de type « étique » (thématique) et
« émique » (empathique) a permis (a) de
caractériser la valeur de lien tant dans ses dimensions
idéales que vécues, puis (b) d’appréhender
simultanément, dans une même démarche globale, le niveau
individuel et le niveau collectif de l’expérience du
lien, pour les faire converger vers une vision cohérente
d’un sociétariat qui demeure principalement hétérogène
et diversifié. Le travail d’enquête mené sous forme
d’entretiens semi- directifs a permis d’interroger la
représentation et l’évolution des valeurs mutualistes
par les sociétaires et les personnels en contact du
groupe Macif ; ainsi ont été mis en lumière les
motivations et les ressorts de l’adhésion à une
communauté liée par un contrat.
Sur le plan
managérial, ce travail apporte une vision plus
pragmatique du management mutualiste et propose de
rénover le modèle de gouvernance et l’engagement des
sociétaires, révélés à travers la tension qui subsiste
entre l’idéal (le discours) et le vécu (l’expérience
vécue). Nous proposons en priorité de mettre en place
une culture du lien en capitalisant sur le comportement
d’engagement et de résistance des personnels en contact,
car pour cette catégorie d’acteurs le lien importe plus
que le bien. Ensuite, il s’agit de renouer avec une
logique d’alliance (a) en impliquant les sociétaires
dans la production de services, et dans la co-création
de valeur, au-delà du vote, et (b) en reconsidérant la
mission des délégués, afin qu’ils redeviennent légitimes
à incarner le lien politique entre